CHAPITRE XVI
Anakin Solo était fier de lui. Quand Luke, Mara et Mirax étaient revenus sur le Pulsar, ils avaient parlé des endroits où Daeshara’cor pouvait être allée en quittant Vortex. Qu’elle sache que le maître Jedi était sur ses traces semblait peu probable. Elle irait donc là où elle estimait trouver des informations sur le « jumeau » de l’Œil de Palpatine.
Le choix logique était Belsavis, puisque le premier Œil s’y était rendu. Mais il y avait deux problèmes. Belsavis, un monde habité, aurait probablement donné l’alarme si un deuxième Œil s’y était manifesté. Ensuite, rien ne prouvait que le deuxième vaisseau avait un ordre de mission impliquant de rallier Belsavis.
Anakin se livra à une recherche informatique plus approfondie. Il demanda communication des dossiers des vaisseaux ayant quitté Vortex, avec leur destination, et compara la liste à un index des enregistrements impériaux disponibles sur ces mondes. Garos IV apparut en haut de la liste.
Cette planète était surtout connue pour son université, située à Ariana, la capitale. Elle s’était jointe à la Nouvelle République après la défaite de Thrawn. Ysanne Isard avait détruit beaucoup de dossiers, dans les ordinateurs de Coruscant, quand la planète était tombée entre les mains de la Rébellion. Ce n’avait pas été le cas sur Garos IV. L’université détenait toujours ces dossiers. Il sembla hautement probable à Anakin que Daeshara’cor s’y rendrait pour chercher une arme contre les Yuuzhan Vong.
Luke fut d’accord avec ce raisonnement. Mirax les conduisit sur Garos IV, les deux droïds calculant le cap, car il fallait passer près de la Nébuleuse Nyarikan.
Ils arrivèrent à destination sans encombre, en un temps record. Voilà qui augmentait leurs chances d’intercepter la Twi’lek.
Déçu, Anakin apprit qu’il devrait rester à bord.
— Ce n’est pas juste que je sois encore coincé ici !
Chalco éclata de rire.
— J’espère que vous ne vous plaignez pas de la compagnie, parce que Whistler en sera sacrement vexé !
Le jeune Jedi regarda Chalco, debout à l’entrée du cockpit.
— Je voulais seulement être utile.
— Je sais. Et vous l’êtes.
— Poireauter n’est pas ce que j’appellerais être « utile ».
— Si. Allons, mon petit, vous avez été assez futé pour découvrir qu’elle viendrait ici. Vous devriez comprendre le reste.
— Elle est venue chercher des informations. Puis elle reviendra au spatioport et repartira. Ça ne m’inspire pas grand-chose.
— Je vous donnerai un indice. Pourquoi suis-je ici ?
— Pour aider à la repérer.
— Pourquoi ?
— Parce que vous la connaissez.
— Je ne suis pas le seul. Pourquoi moi ?
— Parce que vous connaissez les spatioports aussi bien que Daeshara’cor ! Et qu’elle ne sera pas à l’aise dans la foule d’une université…
— Il y aura beaucoup de gens à influencer si elle veut faire oublier qu’elle y était…
— Exact. Donc, elle n’ira pas à l’université en personne. Elle trouvera un moyen de se faire livrer les dossiers.
Chalco sourit.
— Votre oncle nous a dit de rester au spatioport. Mais il y a quelques endroits, près d’ici, où nous pourrions la trouver…
— Maître Skywalker n’apprécie pas qu’on lui désobéisse !
— Etait-ce un ordre ? Ou une suggestion ? Ne s’attendrait-il pas à ce que nous la suivions, si nous la voyions passer ?
— Exact. (Whistler émit un bip plaintif.) Nous n’irons pas loin, Whistler. Et nous resterons en contact avec toi par comlink. Bien sûr, je pourrais contacter maître Skywalker et lui demander l’autorisation de partir à la recherche de Daeshara’cor…
— Il risque de quitter l’université et de la rater.
— Ce genre de logique vous a souvent fourré dans la mouise !
— Mais c’est aussi ce qui me permet de vous aider à récupérer votre Jedi errante !
Il sourit, rappelant son père à Anakin. Surtout quand il s’apprêtait à faire quelque chose de risqué.
— Venez, petit, c’est le moment de partir en chasse. Tu ne devrais pas faire ça, murmura une petite voix dans la tête d’Anakin.
Elle ressemblait beaucoup à celle de son frère…
Il ignora l’avertissement. Ce serait loin d’être aussi dangereux que la mission où Jacen s’était impulsivement lancé, sur Belkadan.
J’essaierai seulement de trouver la femme que nous recherchons.
Il se leva, chassant ses mauvais pressentiments.
— Allons-y.
Le spatioport d’Ariana se dressait dans la banlieue de la capitale. La guerre de libération de Garos IV ayant été brève, peu de bâtiments avaient été endommagés. Ce monde était économiquement autonome, et l’afflux de scientifiques venus étudier les dossiers Impériaux avait renforcé la réputation de l’université. Elle s’était développée, favorisant une explosion économique. La reconstruction en avait été facilitée.
Cette planète était de celles où il faisait bon vivre.
Autour du spatioport, on trouvait le mélange habituel de cantines, de casinos, d’hôtels bon marché et de lieux de débauche. Les panneaux holographiques aux couleurs voyantes et les odeurs de pourri montant des allées assaillirent les sens d’Anakin. Le jeune homme connaissait l’existence de ces lieux ; son père y avait récemment passé beaucoup de temps. Mais c’était la première fois qu’il était confronté à la réalité.
Chalco ne fit rien pour protéger Anakin de l’environnement, contrairement à Lando Calrissian ou à son père.
Ou à Chewie.
Chalco lui avait recommandé de ne pas sortir en tenue de Jedi. Les vêtements qu’il avait trouvés à bord du Pulsar appartenaient probablement à Corran. Un peu trop grands, ils lui permettaient de cacher son sabre laser sous sa veste en peau de nerf.
Ainsi vêtu, Anakin suivit Chalco dans les rues. Le comportement de l’homme changea, sa démarche devenant plus arrogante. On aurait dit qu’il voulait se faire remarquer. Paradoxalement, il attirait fort peu l’attention… Les gens avaient l’habitude de ce type de personnage.
Anakin prit garde de ne pas se projeter à travers la Force. Puissant, mais loin de la maîtriser, il ne voulait pas que Daeshara’cor le détecte avant qu’il puisse la trouver.
L’admiration d’Anakin pour Chalco ne cessa d’augmenter pendant leur quête. Son premier arrêt fut pour une agence de nouvelles, où les spationautes venaient télécharger les dernières informations en provenance de plusieurs mondes.
Il posa des questions et ressortit, souriant.
— Et maintenant ?
— On m’a indiqué un autre endroit où on me donnera une autre adresse, et ainsi de suite, jusqu’à ce que nous la retrouvions.
Anakin se glissa entre deux grands Ithoriens pour rejoindre Chalco.
— Comment faites-vous ? demanda-t-il.
— Comment je fais quoi ?
— Survivre en ayant l’air de rien. Vous agissez comme si vous connaissiez ces gens, mais je parie que ce n’est pas le cas. Vous avez parlé à ce type et il vous a répondu.
Chalco sourit.
— Je ne les connais pas en particulier, c’est vrai, mais j’ai fréquenté des gaillards du même genre. Le type de l’agence de nouvelles est une mine d’informations. Je lui ai parlé des dossiers impériaux secrets de l’université, et il m’a envoyé à quelqu’un.
— Mais vous ne l’avez pas payé.
— Bien sûr que si ! Je lui ai recommandé d’acheter des lots de chambres d’hôtel pour se faire de l’argent facilement.
— Je ne comprends pas.
Chalco tira Anakin dans une allée isolée.
— Réfléchissez ! Ce monde est agréable à vivre. Les gens veulent s’y installer. Les réfugiés des planètes conquises par les Yuuzhan Vong finiront par s’y retrouver aussi. Ils auront besoin d’endroits où loger. Si ce type achète des lots de chambres, en moins d’un an il doublera sa mise. Je lui ai donné une information en échange de la sienne.
— Je n’y aurais pas pensé…
— Je sais, petit. Vous n’en avez jamais eu besoin. D’accord, je joue les voleurs de temps en temps, mais je suis surtout un marchand, comme l’était ton père, ou Talon Karrde. J’observe, et j’en tire les conclusions qui me serviront.
— Je comprends ça… Mais vous ne voyez pas que ce que vous faites est néfaste ?
— Néfaste ?
— Oui. Si les prix augmentent, la vie sera plus dure pour les réfugiés.
— Le gouvernement les aidera.
— Mais où prend-il son argent ?
— Chez les contribuables. Je vois où vous voulez en venir, petit, mais vous croyez que je paie des impôts ?
— Vous, non, mais les gens que vous bernez, oui. S’ils ont moins de ressources, vous pourrez difficilement les escroquer. D’une façon ou d’une autre, vous paierez aussi la note.
— Voulez-vous que je meure de faim ?
— Non, seulement que vous réfléchissiez aux conséquences de vos actes. Quand vous donnez des informations qui permettent à des spéculateurs de vivre aux dépens d’autres spéculateurs, il n’y a pas de mal. C’est différent quand ça touche des gens dont la vie a déjà été détruite.
— Je vois. Et ça me laisserait quoi pour vivre ? Vous êtes moins futé que je ne le croyais.
— Je sais, soupira Anakin. Allons-y.
Le deuxième arrêt eut lieu dans un magasin de bibelots. Anakin sentit la joie émaner de Chalco quand il sortit du magasin.
— Il vous a dit quelque chose, je parie.
— Oui. L’endroit où il a envoyé la Twi’lek qui lui a posé la même question. Il n’en avait pas de souvenir, mais ses holocams l’ont enregistrée. Il lui a parlé il y a trois ou quatre heures.
— Ça signifie que nous brûlons.
— Le type à qui il m’a envoyé ne sera pas là avant une demi-heure.
— Contre quoi lui avez-vous échangé l’information ?
— Je lui ai annoncé que j’étais un détective privé, et qu’il aurait une partie de la récompense si je l’attrapais. Venez, c’est par là ! Le Viska Violet.
L’entrée de la cantine était surplombée par une sculpture de cinq mètres de long : un viska aux ailes déployées. La tête de la créature arborait une corne acérée ; deux bras, au milieu de son torse, semblaient prêts à saisir une proie.
Les viska, ou « grands buveurs de sang de Rordak », se nourrissaient exclusivement de sang.
Anakin se demanda quelle sorte d’établissement appréciait de prendre une créature aussi vicieuse comme enseigne.
La cantine empestait la bière, la sueur et le liquide de refroidissement. Anakin s’installa à la table que Chalco lui désigna, puis s’essuya les mains sur son pantalon.
Il regarda son compagnon approcher du comptoir et parler au Baragwin qui faisait office de barman. La créature fit un signe de la tête vers une porte. Chalco leva une main pour signifier à Anakin de l’attendre, puis il sortit.
Le Jedi essaya de garder l’air nonchalant.
Je devrais peut-être tenter quelque chose. Si Daeshara’cor est avec le type qu’il va voir, Chalco risque de se retrouver dans le pétrin.
Anakin allait se lever quand il surprit un mouvement, à l’entrée. Il eut juste le temps de voir le manteau de la personne qui venait de sortir.
Et ses tentacules crâniens. Un Twi’lek, comme Daeshara’cor.
Courant jusqu’à la porte, il vit la silhouette disparaître dans une allée.
Alors, il s’ouvrit à la Force…
Mais la Jedi se jeta sur lui par-derrière. Il comprit trop tard qu’elle avait projeté dans son esprit une image où elle s’enfuyait…
Un vieux tour, et je me suis laissé avoir !
Elle le projeta contre un mur. Il retomba et vit trente-six étoiles.
— Anakin Solo, si vous êtes là, maître Skywalker n’est pas loin ! Je ne voulais pas l’affronter si tôt… (Anakin sentit son corps s’élever dans les airs.) Mais tout n’est pas perdu. Avec un otage comme vous, je peux encore l’emporter.